Décembe 2002
Le Crabe-Tambour est mort.
Après l'Indo, écœuré, un lieutenant de vaisseau retourne en métropole, sur une jonque, en solitaire…
Odyssée de purification… " après ça ira mieux… "
Pierre Guillaume s'échouera, drossé sur la côte somalienne… et sera capturé par une tribu.
Une aventure à la Conrad, un lord Jim, la lâcheté en moins…
Marin de légende, Guillaume en connaissait un autre, Bernard Moitessier.
Ce navigateur qui, pour " sauver son âme " lui aussi, on s'en souvient, avait refusé les bravos et le champagne dont on s'asperge aux arrivées, et effectué un deuxième tour du monde…
les deux hommes 'estimaient Après l'Indochine, l'Algérie…
En 1957, son frère Jean Marie est tué près de Blida à la tête de ses paras ; Guillaume obtint de le remplacer.
Même quand la mort s'en mêlait, avec lui elle ne triomphait pas complètement.
Avril 1961, l'heure de vérité, le putsch. Il destitue l'amiral Querville à Mers-el-Kebir*, mais la Marine menace de tirer sur Alger.
D'autres avaient choisi la carrière ou la quille.
Quant à leur âme…
Après l'échec, c'est la clandestinité ; il organise des maquis dans la région de Tlemcen et sera arrêté à Oran le 24 mars 1962.
Lors de son procès, il déclara qu'il n'avait qu'un regret : avoir échoué, ajoutant : " Si je n'étais pas devant vous, je serais encore aux côtés de mes camarades de l'OAS. "
Rendons lui un dernier hommage, revisionnons l'admirable film de Schoendorffer : Le Crabe-Tambour**.
Nous nous rappellerons, si besoin est, de quelle substance quelques hommes pouvaient être faits.
Quelles valeurs ils incarnaient, que des maîtres d'écoles bien avisés pourraient donner à leurs " sauvageons "…
Rêver avec autre chose que du virtuel…
Conter des pérégrinations dignes de la Table Ronde, le refus du médiocre et le dégoût de la trahison, même parée d'un masque de théâtre.
Son souvenir n'est pas prêt de s'éteindre…
Partout, en Indochine, en Arabie-Saoudite, et en Somalie… où un guerrier Danakil arbore sûrement encore un sabre d'officier français, qu'il mérite…
Si des marins, de quart, croisent, une nuit, une proue ornée de deux
yeux " bouddhiques " ce sera elle…
La jonque et lui, infiniment calme, et son chat, dans la légende…
Voilà, il fut plus que Corto Maltese, puisque vrai ! Le Crabe-Tambour
aura laissé sa cicatrice, sur cette planète, à la suite des Monfreid,
Lawrence, Rimbaud ou de Mayrena qui inspira Malraux, pour un roman "
Le Règne du Malin ", jamais achevé…
" Adieu, vieille Europe que le diable t'emporte !
*C'était l'heure ou le lieutenant Godot ceinturait Vezinet,
et le capitaine Durand-Ruel lançait à Gambiez -en réponse à son :
"- De mon temps, les lieutenants n'arrêtaient pas les généraux… ",
"- De votre temps, les généraux ne trahissaient pas ! "
** D'après le roman " Le Crabe-Tambour " ( Grasset 1976)